France, Cour administrative d'appel de Nancy, 4ème chambre, 10 mai 2023, 20NC00470 (2023)

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société civile immobilière (SCI) Le Clémenceau a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler la décision du 13 décembre 2016 par laquelle la délégation locale de la Moselle de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) a prononcé le retrait de la subvention accordée le 17 février 2015 et le remboursement d'une somme de 54 071 euros, ensemble la décision implicite de rejet du recours hiérarchique qu'elle a formé le 15 février 2017.

Par des recours distincts, elle a également demandé l'annulation du titre exécutoire n° 2017-400348 émis à son encontre par l'ANAH le 7 mars 2017 et notifié le 19 mai 2017, ainsi que celle de la décision du 22 décembre 2017 par laquelle la directrice générale de l'ANAH a rejeté le recours hiérarchique.

Par un jugement nos 1702951-1703083-1801250 du 17 décembre 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et six mémoires enregistrés les 21 février 2020, 22 octobre 2021, 4 novembre 2021, 27 juillet 2022, 16 septembre 2022, 20 septembre 2022 et 27 septembre 2022, la SCI le Clémenceau, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement ;

2°) d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre par l'ANAH ;

3°) d'ordonner le paiement par l'ANAH de 21 862 euros, représentant le solde de la subvention allouée ;

4°) de mettre à la charge de l'ANAH une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées à son encontre sur ce fondement.

Elle soutient que :

- son appel n'est pas tardif, ainsi que cela ressort du dossier de première instance ;

- le retrait de la subvention était prématuré ; les premiers juges ont consacré une obligation supplémentaire par rapport à celles résultant de la réglementation ; il ne saurait être estimé qu'elle a manqué à ses obligations car aucun point de départ de la mise en location n'est prescrit, si ce n'est pour la liquidation du solde, de sorte que le retard à transmettre les documents ne pouvait justifier le retrait de la subvention ; les travaux eux-mêmes ont été achevés dans les délais prescrits, les factures et les documents complémentaires demandés par l'ANAH ont été transmis les 19 novembre 2015 et 18 décembre 2015 ; le règlement général de l'ANAH n'impose pas que les baux soient signés au moment de l'achèvement des travaux, ni donc que les contrats de baux et les justificatifs des revenus soient produits en même temps que la déclaration d'achèvement des travaux ; l'ANAH ne peut lui reprocher de ne pas avoir achevé les travaux avant le 17 décembre 2014 car elle ne saurait ignorer le délai exceptionnel qu'elle lui avait accordé, alors que la défaillance des entreprises chargées des travaux et le contentieux en cours faisait qu'il était matériellement impossible d'entreprendre les travaux sans y avoir été autorisé par le juge judiciaire ; ses obligations doivent s'apprécier au regard de la réglementation applicable à la date de signature de la convention, et non à la date de la demande de paiement ;

- les logements ont été mis en location ; les personnes ayant finalement loué les deux logements remplissaient les conditions de revenus ; il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir parvenu à louer les logements plus tôt malgré ses démarches ;

- le retrait de l'intégralité de la subvention est disproportionné au regard des circonstances de l'espèce.

Par quatre mémoires enregistrés les 12 janvier 2021, 8 novembre 2021, 3 septembre 2022 et 20 septembre 2022, l'ANAH, représenté par Me Pouilhe, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la SCI Le Clémenceau le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable, il n'est pas justifié qu'elle aurait été enregistrée dans le délai d'appel ;

- les conclusions relatives à la demande de paiement du solde sont nouvelles en appel et irrecevables ;

- les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 5 octobre 2022 et non communiqué, l'ANAH conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique ;

- l'arrêté du 6 juillet 2006 portant approbation du règlement général de l'Agence nationale de l'habitat ;

- l'arrêté du 1er août 2014 portant approbation du règlement général de l'Agence nationale de l'habitat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- et les conclusions de M. Michel, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI Le Clémenceau est propriétaire d'un immeuble d'habitation situé au 10 rue Clémenceau à Sarralbe dans le département de la Moselle. Par une décision du 17 décembre 2009, l'ANAH lui a accordé une subvention de 72 873 euros afin de réhabiliter cet immeuble pour en faire deux logements destinés à la location conventionnée. Le 30 septembre 2011, l'ANAH a versé à la SCI Le Clémenceau, sur demande de sa part, un acompte de 51 011 euros. En mai 2012, les entreprises chargées des travaux de rénovation depuis février 2010 ont cessé d'intervenir sur le chantier. Par une ordonnance du 16 décembre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Sarreguemines a constaté l'interruption des travaux et a autorisé, en conséquence, la SCI Le Clémenceau à les achever. En raison du retard ainsi pris dans l'exécution des travaux et des problèmes de santé dont souffrait M. A..., gérant de la SCI Le Clémenceau, deux prolongations d'un an ont été accordées par l'ANAH pour l'achèvement des travaux, d'abord jusqu'au 17 décembre 2013, puis jusqu'au 17 décembre 2014. Par une lettre du 25 février 2015, la délégation locale de l'ANAH a informé la SCI Le Clémenceau, eu égard aux circonstances particulières du dossier, de son intention de solliciter des services centraux de l'ANAH une dernière prolongation exceptionnelle de six à huit mois pour achever les travaux. Par un courrier du 27 mai 2015, la directrice générale de l'ANAH s'est dite favorable à cette prorogation exceptionnelle et, par conséquent, à ce qu'aucune décision de retrait de la subvention accordée à la SCI ne soit prise avant la fin de l'année 2015. Par un courrier du 18 décembre 2015, la SCI Le Clémenceau a présenté à l'ANAH une demande de paiement de la subvention valant déclaration d'achèvement des travaux. Par un courrier du 14 octobre 2016, l'ANAH a sollicité de la SCI Le Clémenceau la communication des baux de location des deux logements rénovés. Par un courrier du 21 octobre 2016, la SCI Le Clémenceau a rappelé le contexte difficile auquel elle a dû faire face pendant la réalisation des travaux et a précisé qu'elle avait accompli les diligences nécessaires pour assurer la location de ces logements. Par une décision du 13 décembre 2016, l'ANAH a prononcé le retrait de la subvention accordée et a sollicité le remboursement de la somme de 54 071 euros dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa décision. Le 15 février 2017, la SCI Le Clémenceau a formé un recours hiérarchique contre cette décision. Ce recours a été rejeté par une décision de la directrice générale de l'ANAH en date du 22 décembre 2017. Parallèlement à cette procédure, l'ANAH a adressé à la SCI Le Clémenceau un titre exécutoire émis le 7 mars 2017 sollicitant le paiement de la somme de 54 071 euros. Par trois recours distincts, la SCI Le Clémenceau a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler ces différentes décisions. Par un jugement en date du 17 décembre 2019, le tribunal a rejeté l'intégralité de ses demandes. En ne sollicitant en appel que l'annulation du titre exécutoire, la SCI Le Clémenceau doit être regardée comme contestant le jugement en tant uniquement qu'il a rejeté ses conclusions d'annulation dirigées contre ce titre.

Sur le bien-fondé de la créance :

2. Aux termes de l'article R. 321-21 du code de la construction et de l'habitation : " Le retrait et le reversement total ou partiel peuvent également être prononcés en cas de non-respect des prescriptions de la présente section ou des conventions conclues en application des articles L. 321-4 et L. 321-8, ou de toute autre convention liée au bénéfice des aides de l'agence, selon les modalités fixées par le règlement général de l'agence. Ce règlement prévoit une procédure de communication préalable et des éléments de calcul sur le montant du reversement et son actualisation indexée sur l'évolution de l'indice de référence des loyers mentionné à l'article 17 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. /Ces décisions sont prises à tout moment, avant ou après le versement du solde de la subvention. / Lorsqu'elles sont prononcées avant le versement du solde de la subvention, elles sont prises par l'organisme ayant décidé de l'attribution de la subvention, qui peut être, selon le cas, l'agence ou l'autorité à laquelle cette compétence a été déléguée ".

3. Le bénéficiaire d'une subvention de l'ANAH a droit au versement de la subvention dans les conditions fixées par les dispositions en vigueur à la date de son octroi et par les engagements spécifiques qu'il a alors souscrits auprès de l'agence. La subvention peut faire l'objet d'une décision de reversement si le bénéficiaire ne respecte pas les conditions mises à son octroi. Si les bénéficiaires de ces subventions sont placés vis-à-vis de cet établissement public dans une situation réglementaire et non contractuelle, cette situation ne fait pas obstacle à ce qu'ils puissent, le cas échéant, invoquer un cas de force majeure ayant rendu impossible l'exécution des engagements auxquels était subordonné le versement de l'aide financière de l'agence

4. Il résulte de l'instruction que la SCI Le Clémenceau s'était engagée à louer ou continuer à louer les logements, à titre de résidence principale, pendant une durée minimale de neuf ans à compter de la date de réception par l'ANAH des pièces justifiant l'exécution des travaux. Si l'article 15 A du règlement de l'ANAH résultant de la délibération du 6 juillet 2006, approuvé par arrêté du 17 octobre 2006, applicable pour apprécier la portée de l'engagement alors souscrit par la SCI, prévoit que la durée de neuf ans, courant à compter de la date de déclaration d'achèvement des travaux, n'est pas exigée en cas de vacance du logement subventionné supérieure à un an lorsque le propriétaire apporte la preuve qu'il a mis en œuvre tous les moyens nécessaires à la recherche d'un nouveau locataire, ni cet article, ni d'autres dispositions ne prévoient de report de l'obligation de première mise en location Par ailleurs, l'article 20 du règlement de l'ANAH intitulé " liquidation et mise en paiement du solde " précise que la demande de paiement vaut déclaration d'achèvement des travaux et qu'à cette occasion il est vérifié la présentation de documents justifiant l'occupation des logements.

5. Il est constant que les logements objet de la demande de subvention n'étaient pas loués à la fin de l'année 2015, lorsque la SCI a adressé sa demande de paiement du solde de la subvention, valant date de déclaration d'achèvement des travaux. Le fait invoqué par la requérante, tenant à la maladie de son gérant, est insusceptible d'être regardé comme une circonstance relevant de la force majeure, dès lors qu'il ne saurait être regardé comme extérieur à la SCI. De même, la défaillance des entreprises initialement chargées des travaux qu'elle invoque n'est pas, en tout état de cause, compte tenu des délais supplémentaires qui avaient été accordés par l'ANAH et qui expiraient à la fin de l'année 2015, de nature à justifier une impossibilité de finir ces travaux dans ce délai et de mettre les biens en location. Le fait que des démarches auraient été initiées de manière infructueuse, par la publication d'une annonce et la pose d'un panneau sur l'immeuble, en vue de louer les biens, ne caractérise pas davantage des circonstances relevant de la force majeure.

6. Dans ces conditions, la SCI le Clémenceau ne peut être regardée comme ayant respecté les obligations qu'elle avait souscrites, de sorte que la subvention pouvait légalement être retirée dans son intégralité sans que ne puisse être utilement opposé le caractère disproportionné d'une telle mesure.

7. Elle n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Strasbourg a, par le jugement attaqué, rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du titre de recettes émis pour son recouvrement. Sa requête ne peut, dès lors, qu'être rejetée, qu'il s'agisse de ses conclusions aux fins d'annulation ou d'injonction, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir invoquée par l'ANAH.

Sur les frais liés à l'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'ANAH, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la SCI Le Clémenceau et non compris dans les dépens.

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'ANAH, sur le même fondement.

D E C I D E:

Article 1er : La requête de la société civile immobilière le Clémenceau est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de l'Agence nationale de l'habitat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Le Clémenceau et à l'Agence nationale de l'habitat.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Ghisu-Deparis, présidente de chambre,

- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,

- Mme Roussaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.

La rapporteure,

Signé : A. C...La présidente,

Signé : V. Ghisu-Deparis

La greffière,

Signé : M. B...

La République mande et ordonne aux ministres en charge de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, de la transition écologique et de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui les concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

M. B...

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N° 20NC00470

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Author: Dr. Pierre Goyette

Last Updated: 05/22/2023

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