Mots clés société · manifestation · réparation · magasin · procès-verbal · ressort · violence · gilets · vitrines · jaunes · rassemblements · dégradé · attroupements · bijoux · boutique
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 23 février 2021, le 23 août 2021 et le 10 mai 2022, la société Swarovski France et la société Zurich Insurance PLC, représentées par Me Laurent, demandent au tribunal :
1°) de condamner l'Etat à verser à la société Zurich Insurance PLC la somme de 97 739 euros, en réparation des dommages occasionnés en marge de la manifestation des " gilets jaunes " du 16 mars 2019 ;
2°) de condamner l'Etat à verser à la société Swarovski la somme de 3 000 euros, en réparation des dommages occasionnés en marge de la manifestation des " gilets jaunes " du 16 mars 2019 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros à leur profit, au titre de l'article
du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les trois conditions pour engager la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article
du code de la sécurité intérieure, sont réunies ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat peut également être engagée en raison d'une carence dans l'exercice des pouvoirs de police ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques peut également être engagée ;
- conformément aux dispositions de l'article
du code des assurances et de l'article
du code civil, la société Zurich Insurance PLC est subrogée dans les droits de son assurée à concurrence de la somme de 97 739 euros qu'elle a réglée à son assurée.
- la société Swarovski sollicite le règlement de la franchise restée à sa charge d'un montant de 3 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2021, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 2 septembre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- et les conclusions de Mme Ménéménis, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit
:
1. La société Zurich Insurance Public Limited Company a versé à la société Swarovski France, son assurée, qui exploite un magasin situé 146 avenue des Champs-Elysées, dans le 8ème arrondissement de Paris, une somme en réparation de dommages occasionnés à ce magasin. La société Zurich Insurance PLC impute la cause des dégradations à des débordements commis en marge de la manifestation des " gilets jaunes " qui s'est tenue à Paris le 16 mars 2019. Agissant en sa qualité de subrogée dans les droits de son assurée, la société demande au tribunal de condamner l'Etat à lui verser la somme de 97 739 euros. La société Swarovski France demande au tribunal de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros correspondant à la franchise restée à sa charge.
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des attroupements ou rassemblements :
2. Aux termes de l'article
du code de la sécurité intérieure : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. " L'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés, commis par des rassemblements ou attroupements précisément identifiés.
3. Il résulte de l'instruction, en particulier des plaintes effectuées le 18 mars 2019 par le représentant de la société Swarovski, que le 16 mars 2019, entre 15h et 16h, des individus ont brisé les portes d'entrée vitrées ainsi que les vitrines du rez-de-chaussée, ont arraché les tiroirs et volé les bijoux. Ils ont ensuite réussi à accéder au sous-sol en forçant une porte, ont forcé des casiers des salariés et ont tenté de forcer le coffre sécurisé, en vain. Au premier étage, ils ont cassé les vitrines et présentoirs et ont volé tous les bijoux sauf ceux des deux vitrines épargnées. Enfin, le matériel informatique a été dégradé, un écran d'ordinateur a été volé, trois tiroir-caisse ont été forcés. Il ressort du procès-verbal d'ambiance, que des gilets jaunes se sont rassemblés place Charles de Gaulle, dès 8h30 le samedi 16 mars 2019, que des " black blocs " étaient également présents à proximité de l'avenue des Champs-Elysées dès le milieu de la matinée et que de nombreux magasins situés avenue des Champs-Elysées ont été cassés et pillés ce jour-là. Le procès-verbal d'ambiance mentionne la présence de manifestants sur le plateau de l'Etoile à 13h56 mais à partir de 14h38, les manifestants s'engagent sur l'avenue des Champs-Elysées en réponse aux manœuvres de dispersion effectuées par les forces de police. A 15h20, la plupart des manifestants se trouve encore sur la place de l'Etoile. Il ressort des photographies produites, que les individus qui ont cassé les vitrines du magasin Swarovski, étaient tout de noir vêtus, parfois avec un gilet jaune par-dessus, portaient des gants, des masques et des cagoules ou des capuches et étaient munis de sacs qu'ils remplissaient de bijoux. Les articles de presse produits indiquent notamment que les premiers casseurs à être entrés dans la boutique n'ont pas été identifiés et que près de 365 manifestants ont ensuite pénétré dans le magasin. Dans ces conditions, compte tenu de la présence concomitante de manifestants et de casseurs dans le magasin dégradé, et de l'absence d'éléments de nature à exclure le rattachement des dégâts commis à la manifestation, il y a lieu de retenir l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait d'un attroupement ou d'un rassemblement, au sens de l'article
du code de la sécurité intérieure. Par ailleurs, la dégradation d'un bien d'autrui par violence constitue une infraction pénalement réprimée.
Sur les préjudices :
4. En premier lieu, la société Zurich Insurance PLC soutient avoir versé à la société Swarovski la somme de 97 739 euros. Le montant de cette somme n'est pas contesté et est inférieur au montant du préjudice évalué dans les rapports d'expertise, il convient donc de le retenir. En outre, il résulte de l'instruction que la somme de 3 000 euros, correspondant à la franchise, est restée à la charge de la société Swarovski France.
5. En deuxième lieu, le préfet de police invoque la faute de la victime en faisant valoir que le magasin Swarovski ne pouvait ignorer le risque de telles dégradations dès lors qu'il s'agissait du 18ème acte de la manifestation et qu'il aurait dû être muni d'un rideau de métal comme le font traditionnellement les boutiques de bijoux ou à tout le moins, de palissades en bois, ou d'agents de sécurité. Il résulte de l'instruction que la boutique Swarovski a été fermée dès 10h30 et que le responsable a cherché à apposer des palissades en bois sur les vitrines mais les ouvriers ne sont arrivés pour effectuer cette tâche qu'à 17 heures, soit après que les dégâts ont été commis. En outre, la boutique était dotée de vitre anti-effractions. Compte tenu de ces éléments, il n'y a pas lieu de retenir une faute de la victime.
6. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société Zurich Insurance PLC la somme de 97 739 euros et à la société Swarovski France, la somme de 3 000 euros au titre des préjudices subis lors de la journée de manifestation du 16 mars 2019.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Zurich Insurance PLC et à la société Swarovski France d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article
du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à la société Zurich Insurance PLC une somme de 97 739 euros.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la société Swarovski France une somme de 3 000 euros.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la société Zurich Insurance PLC et à la société Swarovski France au titre de l'article
du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Swarovski France, à la société Zurich Insurance PLC et au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 18 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Giraudon, présidente,
- Mme Marcus, première conseillère,
- Mme Castéra, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mai 2023.
La rapporteure,
A. A
La présidente,
M.-C. GiraudonLe greffier,
Y. Fadel
La République mande et ordonne au préfet de police en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.