Mots clés propriété · rapport · seine · berges · travaux · phénomène · requête · érosion · maritime · responsabilité · axe · mur de soutènement · préjudice · rejet · parcelle
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 21 février 2020, 12 mars 2021, 27 juin 2022 et 31 octobre 2022, ce dernier non communiqué, Mme et M. B, représentés par Me Scanvic, demandent au tribunal :
- d'annuler les décisions de rejet opposées, explicitement par le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine le 23 décembre 2019 et implicitement par le préfet de l'Eure, à leurs demandes indemnitaires adressées le 29 octobre 2019, tendant au paiement d'une somme minimale de deux millions d'euros ;
- de condamner le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (GPFMAS) et l'Etat conjointement à leur verser pour réparer les préjudices moraux, de jouissance et de troubles dans leurs conditions d'existence, la somme de 500 000 euros majorée des intérêts de droit à compter du 29 octobre 2019 ainsi que la capitalisation des intérêts ;
- de condamner le GPFMAS et l'Etat conjointement à leur verser, au titre du préjudice résultant du coût de réalisation des travaux indispensables à la préservation de leur bien, la somme de 1 500 000 euros majorée des intérêts de droit à compter du 29 octobre 2019 ainsi que la capitalisation des intérêts ;
- à titre subsidiaire, de condamner le GPFMAS et l'Etat conjointement à réaliser les travaux nécessaires à la préservation des berges de la Seine au droit de leur propriété ;
- de mettre à la charge du GPFMAS et de l'Etat conjointement une somme de 5 000 euros au titre de l'article
du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'Etat et le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine ont engagé leur responsabilité dans la mesure où ils ont commis deux fautes, en raison, d'une part, de promesses non tenues, et, d'autre part, de l'inexécution de l'arrêté inter-préfectoral du 30 novembre 2011 ;
- leur responsabilité est également engagée sans faute en raison des activités de service public constituées par la navigation ;
- ils ont dû déployer des efforts infinis auprès des administrations publiques et leur mobilisation pendant cette longue période sera justement indemnisée à hauteur de 200 000 euros ;
- les travaux nécessaires, correspondant aux conclusions des experts, impliquent que les défendeurs soient condamnés à leur verser une somme de 1 500 000 euros pour faire cesser le préjudice subi.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 23 décembre 2021 et 12 octobre 2022, le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, représenté par Me Sery, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de M. et Mme B de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article
du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 octobre 2022, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Leduc, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Cazcarra, rapporteure publique,
- et les observations de Me Scanvic, représentant M. et Mme B, et C, représentant le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine.
Considérant ce qui suit
:
1. M. et Mme B ont acquis, en mars 2007, une propriété située sur les bords de Seine à Vieux-Port référencée AC52. Inquiets du phénomène d'érosion affectant les berges du fleuve et, nécessairement, leur propriété, ils ont entrepris diverses démarches dès 2007 à l'égard de la préfecture de l'Eure, du conseil général de l'Eure, et du conseil régional de Haute-Normandie. Insatisfaits des résultats obtenus, ils ont sollicité le juge des référés du tribunal de céans en janvier 2017 aux fins d'ordonner une expertise portant sur le phénomène d'érosion affectant leur parcelle. La requête a été rejetée dans la mesure où l'expertise demandée ne présentait pas le caractère d'utilité exigée par les dispositions de l'article
du code de justice administrative, toutes les données pertinentes figurant déjà au dossier, en raison de la réalisation d'expertises antérieures. Le 29 octobre 2019, ils ont adressé au préfet de l'Eure et au Grand port maritime de Rouen (GPMR), au droit duquel est venu le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, une demande d'indemnisation des différents préjudices allégués pour un montant présenté comme impossible à chiffrer " à moins de 2 millions d'euros ". Cette demande a été rejetée explicitement par le Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, et implicitement par l'Etat.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Si les requérants demandent au tribunal d'annuler les décisions par lesquelles l'Etat et le GPMR ont rejeté leur demande indemnitaire préalable, ces décisions n'ont eu pour effet que de lier le contentieux indemnitaire. Les conclusions tendant à l'annulation de ces décisions doivent, dès lors, être regardées comme tendant à l'engagement de la responsabilité de la puissance publique.
Sur la responsabilité et les conclusions aux fins d'indemnisation:
3. Les parties à l'instance versent au dossier un rapport d'étude relative à l'érosion de berge en bordure de la Seine et mouvements induits dans la commune de Vieux-Port établi en juillet 2004 par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dont il résulte que le recul de la microfalaise observé sur la parcelle des requérants, de l'ordre de huit à dix mètres en une trentaine d'années, soit une vitesse moyenne de vingt à trente centimètres par an, a pour origine " avant tout " l'action naturelle des courants du fleuve qui viennent, à cet endroit situé au maximum de la courbure d'un méandre, arracher des matériaux composant le pied de falaise et créent un sous-cavage avant de provoquer un éboulement de la tête de falaise s'écroulant par l'effet de la gravité. Ce phénomène naturel de déplacement du lit de la Seine vers le Sud est, selon cette étude, aggravé par le passage de grosses embarcations qui provoque le déferlement d'une vague de batillage venant se briser sur les berges. Une étude réalisée en mars 2013 par la société Artelia Eau et Environnement a confirmé les conclusions de l'analyse technique du BRGM et précise que, si les vagues des bateaux et navires montants ou descendants n'ont, lors des visites, pas présenté une intensité, ni une surcote dynamique telle qu'elles permettraient d'expliquer l'arrachement ou le déplacement de blocs rocheux ni même le mouvement de petits cailloux, le passage de gros navires est à l'origine de courants de forte puissance pouvant entraîner le déplacement de matériaux composant la berge. Cette étude souligne qu'il est " très probable " que le déplacement de blocs rocheux est susceptible de se produire si des conditions légèrement plus défavorables se manifestent sous la forme d'un coefficient de marée plus important, d'un bateau ou un navire plus chargé, ou d'une vitesse de déplacement plus élevée. La société Artelia Eau et Environnement a, en août 2013, à l'issue d'une seconde analyse relative à l'étude comparative de différentes solutions envisageables, proposé des remèdes techniques aux effets de ce phénomène de batillage. La préconisation à laquelle elle accordait sa préférence consistait à réaliser " une protection indirecte par brise-lame flottant sans reprofilage pour le secteur de la falaise, couplée à la solution de laisser faire au niveau du secteur de la berge amont ".
4. Les requérants soutiennent en premier lieu que la responsabilité sans faute de l'Etat et du GPMR est engagée en raison des " effets produits par le passage des navires en particulier des plus gros d'entre eux ", " bateaux dont l'importance a évidemment été amplifiée par le surcroit de trafic rendu possible par les travaux autorisés par l'arrêté inter-préfectoral du 30 novembre 2011 ". Il convient de rappeler qu'en matière de travaux publics, la responsabilité sans faute s'applique uniquement si la victime supposée a la qualité de tiers, ce qui est le cas dans la présente instance, mais que ledit tiers ne peut obtenir réparation que si le préjudice qu'il a subi présente un caractère grave et spécial, si le lien de causalité entre le dommage et les travaux publics concernés est établi et si, en tout état de cause, il prouve la réalité des préjudices dont il réclame l'indemnisation.
5. A cet égard, il sera rappelé que le cabinet Artelia souligne que " La synthèse des analyses menées dans le cadre de la phase diagnostic montre que le phénomène d'érosion / accrétion aux abords de la falaise résulte principalement de l'effet du batillage provoqué par le passage des bateaux ", ce " phénomène a été assez difficilement observable puisqu'il se produit uniquement lors de la concomitance de plusieurs facteurs " et " se produit donc rarement, de l'ordre de 1 ou 2 fois par mois ". Néanmoins, alors qu'il appartient aux requérants, dans le cadre d'un régime de responsabilité sans faute, de démontrer le lien de causalité entre le dommage qu'ils prétendent subir et le fait susceptible d'ouvrir une action en responsabilité, ceux-ci n'établissent nullement que les travaux prévus par l'arrêté inter-préfectoral du 30 novembre 2011, qui prévoient une amélioration des accès nautiques du port de Rouen, seraient à l'origine de l'érosion des berges ou d'une amplification de ce phénomène. Ils ne versent effectivement au dossier aucun élément qui permettrait de prouver que ces travaux auraient provoqué ou permis un passage plus fréquent de navires disposant d'un plus grand tirant d'eau, ou qu'ils auraient généré un accroissement du trafic fluvial, induisant un renforcement de la dégradation des berges sur ce secteur. Il résulte d'ailleurs de l'arrêté du 30 novembre 2011 que les travaux prévus ont eu pour objet de tenir compte de l'accroissement du tirant d'eau des navires, qui leur est donc préexistant, et non de permettre la venue de navires plus importants. Par suite, la responsabilité sans faute des personnes morales mises en cause ne saurait être retenue en raison des conséquences prétendument induites par les travaux prévus par l'arrêté du 30 novembre 2011.
6. S'agissant de la période antérieure, il convient de souligner que, lors de l'achat du bien immobilier, les requérants se sont vus remettre le rapport du BRGM précisant que " d'après les témoignages de Mme le maire et d'un propriétaire, l'érosion de la falaise par le fleuve, à l'origine des désordres constatés sur les parcelles AC52 et 53 notamment, se poursuit depuis au moins deux décennies ", et faisant état d'un recul de la plate-forme du terrain des parcelles AC52 et 53 de huit à dix mètres en trente-quatre ans. L'acte de vente précise, pour sa part, que " L'attention de l'acquéreur a bien été attirée sur le fait que le terrain en bord de Seine subit l'érosion de cette dernière, et qu'il effectue l'acquisition en toute connaissance de cause ". Ils objectent néanmoins que leur connaissance du phénomène et du risque encouru était incomplète dès lors que l'ancienne propriétaire avait fait édifier un mur de soutènement en béton qui, à la date de l'acquisition, présentait des garanties de pérennité et était de nature à garantir la stabilité de leur parcelle justifiant pleinement leur confiance. Ils relèvent également que, contrairement à ce qu'a retenu le BRGM, il ne s'agirait pas d'érosion naturelle mais d'une érosion causée par le batillage, significativement amplifié par l'accroissement du trafic résultant de l'arrêté du 30 novembre 2011.
7. Néanmoins, le mur de soutènement en question ne pouvait tromper leur confiance dès lors que le rapport précité du BRGM, dont ils ont pris connaissance lors de l'achat de leur propriété, soulignait, à propos de l'édifice, que " Cet ouvrage semble avoir freiné le phénomène mais, aujourd'hui, sa dégradation est telle qu'il ne pourra bientôt plus protéger le versant mou de la parcelle 52 ". En outre, ainsi qu'il a été relevé ci-dessus, eu égard aux indications contenues dans le rapport du BRGM sur l'existence des vagues de batillage, les requérants connaissaient, dès l'achat de leur propriété, l'existence de ce phénomène et de ses effets. Par suite, dans la mesure où ils étaient informés dès 2007 de l'existence de ce fait observé, d'ailleurs inévitable en bordure d'un fleuve majeur tel que la Seine, ainsi que de la dégradation du mur de soutènement censé en limiter les effets, M. et Mme B doivent être regardés comme ayant accepté en connaissance de cause les risques d'érosion auquel étaient exposées les berges de leur parcelle, ce qui fait obstacle à ce qu'ils soient indemnisés des conséquences du risque qu'ils ont, ainsi, accepté de prendre.
8. Les requérants soutiennent, en second lieu, que la responsabilité pour faute de l'Etat et du GMPR doit être engagée, en raison, d'une part, de la promesse non tenue de réalisation de travaux de confortement des berges de la Seine, et, d'autre part, du non-respect de l'engagement contenu à l'article 5 de l'arrêté inter-préfectoral du 30 novembre 2011 prévoyant des " mesures d'accompagnement du projet ", en particulier des actions liées à la lutte contre l'érosion des berges, qui n'auraient jamais été mises en œuvre.
9. Or, les études réalisées à la demande de l'Etat ou du GPMR, si elles posent des diagnostics et proposent diverses solutions susceptibles de pouvoir remédier au phénomène constaté, n'ont pas été validées par les pouvoirs publics, lesquels n'ont pris aucun engagement explicite en la matière. Il ne peut par conséquent leur être reproché de n'avoir pas tenu leurs promesses.
10. En ce qui concerne les mesures d'accompagnement prévues à l'article 5 de l'arrêté inter-préfectoral précité, le comité de suivi mis en place fait état de relevés constatant l'ampleur du phénomène d'érosion sur la zone dite " des falaises ", et définit cinq secteurs sur les berges de la commune de Vieux-Port selon le degré de dégradation et leurs enjeux spécifiques afin de déterminer les solutions appropriées. En ce qui concerne le périmètre duquel relève la parcelle des requérants, il ressort du rapport de suivi de l'année 2018 issu de la réunion du comité de suivi du 29 mars 2019 que des travaux étaient prévus dans le secteur de Vieux- Port entre la fin 2019 et le mois de mai 2020, ainsi décrits : " la solution retenue est la technique mixte (génie végétal et enrochements) qui est plus efficace à long terme, plus esthétique au niveau paysage et moins coûteuse. Pour plus d'efficacité sur l'ensemble de la berge, il a également choisi de réaliser ces aménagements mixtes sur tout le linéaire ". Il ressort des pièces du dossier que ces travaux ont été globalement mis en œuvre mais que c'est parce que le tronçon 5, dont relève la propriété des requérants, se trouve " en accrétion ", phénomène impliquant une accumulation de sédiments, explication technique qui n'est pas discutée par les requérants, qu'aucun aménagement n'a été spécifiquement réalisé à cet endroit. Dès lors, et quand bien même une absence de travaux serait à relever sur le périmètre de la propriété des requérants, ceux-ci ne peuvent utilement reprocher à l'Etat ou au GPMR une carence fautive dans la mise en œuvre des mesures d'accompagnement prévues par l'article 5 de l'arrêté du 30 novembre 2011 qui, au demeurant, concernaient notamment les berges érodées à Vieux- Port mais pas spécifiquement celles situées au droit de leur propriété.
11. Il résulte de tout ce qui précède que, dans la mesure où la responsabilité des personnes morales mises en cause ne peut être engagée, les conclusions aux fins d'indemnisation et d'injonction des requérants ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais d'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article
du code de justice administrative et de mettre à la charge de M. et Mme B, partie perdante, le versement d'une somme de 1000 euros au bénéfice du Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine. Il n'y a pas lieu, en revanche, de faire droit aux conclusions formées par les requérants, partie perdante, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme B est rejetée.
Article 2 : M. et Mme B verseront au Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine une somme de 1000 euros au titre des dispositions de l'article
du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. et Mme B, au Grand port fluvio-maritime de l'axe Seine, et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience du 24 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Gaillard, présidente,
M. Leduc, premier conseiller,
M. Bouvet, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 décembre 2022.
Le rapporteur,
C. LEDUC
La présidente,
A. GAILLARD Le greffier,
N. BOULAY